Satsang avec Gangamma
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- 14 mars
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Dernière mise à jour : 1 avr.

A Auroville on m'avait conseillé d'aller voir Gangamma, une guru bien vivante qui accueille les fidèles dans un ashram situé dans une maison dans ce qui sera peut être un quartier résidentiel de Tiru.
Rencontre avec un living body
"Tu vas voir sa présence est très forte m'avait on dit, c'est une chance de pouvoir méditer dans la présence d'un living body, c’est à dire un être bien vivant qui a atteint la réalisation, expérimenté la fusion du soi avec l’éternel et dont la seule présence/ vision (appelée Darshan) vous irradie d’une force indescriptible."
Je m'y suis donc rendue en slalomant entre les vaches et les chèvres.
Où suis-je?
Le long de la galerie couverte qui fait le tour de la maison de nombreux disciples étrangers patientent assis en lotus, d'autres sont déjà montés à l'étage pour sécuriser une place sur une chaise, d'autres s'assoient sur le sol tapissé de nattes. Arrivée assez tôt je m'installe et contemple le siège vide de la Guru, coussiné et orné de napperons brodés. La salle ne cesse de se remplir, tout le monde prend place en silence.
A 17:30 pile, la salle est pleine comme un œuf et tout le monde se lève les mains en prière pour accueillir Amma. Je ne vois pas ce qui se passe devant car je suis plutôt loin, puis, tout à coup l'assemblée se rassoit et je vois Gangamma qui semble être apparue comme par magie.
The guru is present
C'est une belle femme aux cheveux blancs, l'air jeune, le visage pur, le front rehaussé d'un trait blanc horizontal et d'un point rouge au centre.
A partir de cet instant, elle est là, présente, et son regard semble balayer tout le monde et fixer chacun à la fois. Le regard en Inde a une intensité particulière, et celui des gurus est en quelque sorte leur outil de travail, c'est avec cela qu'ils scrutent les visages et les âmes.
Gangamma est installée et le silence aussi. Il ne se passe pour ainsi dire rien, les fidèles sont plongés dans sa présence. Certains ont les yeux clos, d'autres la fixe, la dévore des yeux, certains ont l'air calme, d'autres l'air extatique, une fille pleure de ce qui parait être de la joie, je vois les larmes rouler sur ses joues.
Mon esprit tourne à 100 à l'heure, je cherche à comprendre.
Que fait elle, cette Gangamma?
Marina Abramovic est-elle un guru?
Je pense soudain à Marina Abramovic et à sa performance "the artist is present" (et oui, mon esprit bouillonne et tisse des associations à 100 à l'heure). Pendant trois mois, au Moma à New York, l’artiste est restée assise sur une chaise, immobile et silencieuse, sept heures par jour, six jours par semaine. Les visiteurs étaient invités à s’asseoir en face d’elle, un par un, pour un face-à-face intense sans parole.

Tout à coup, je réalise qu'elle a utilisé exactement le même protocole que celui que les Guru indiens appliquent depuis toujours!
En fait ce n'est pas un scoop, Marina Abramovic a séjourné dans des monastères bouddhistes et pratique la méditation et l'observation attentive depuis longtemps. C'est ce qu'elle propose dans sa méthode "instruction cards to reboot your life" vendu dans toutes les boutiques de musée et librairies. Dans des performances antérieures à celle du MOMA (Rhythm 0, The House with the Ocean View par exemple), elle a mis en pratique les enseignements reçus et exploré la souffrance corporelle, l'impermanence et le silence.
Je n'étais ni au MOMA face à Abramovic, ni ailleurs devant l'artiste , mais pour le temps présent je suis ici, chez GangAmma, maintenant (je ne sais plus quelle heure il est mon portable est éteint) et le temps s'étire d'une façon presque douloureuse dans cette pièce baignée de silence.
Questions/ Réponses/ Silence(s)
Tout à coup une voix s'élève, une question est adressée à la sage.
C'est le principe du satsang : un rassemblement spirituel où les participants se réunissent pour écouter des enseignements, méditer et échanger autour de la quête spirituelle. Il y a des satsangs où l'on chante des bhajans (chants dévotionnels) mais chez Ganga-Ma pas de chant. Juste du silence, un espace pour poser ses questions et quelque fois, des réponses. Mais pas toujours! Des fois la réponse de Gangamma à la question posée est un silence que le questionneur doit savoir interpréter.
La question est métaphysique, quelque chose sur l'impermanence de la matière...
Gangamma répond un truc du genre : " you are everything and nothing at the same time" en articulant à peine.
Je quitte la salle avant la fin de la session, épuisée, agacée comme après une séance de psy Lacanienne à la seule différence que je n'ai pas payé.
Reviendrai-je?
Je ne sais pas...
Le lendemain, je rencontre Radha, la mère d'un ami qui suit la voie spirituelle depuis des années. Je lui dis que Gangamma ne m'a pas touchée, que je suis sortie exaspérée du satsang.
Elle me dit que tant que je serai dans le jugement je ne pourrais rien entendre.
Le lendemain matin, j'y retourne avec elle.
Une bombe spirituelle à retardement
Je m'assois sur le sol. Gangamma arrive, s'assoit, et vite je sens son regard opérer, sa présence, dont il ne faut rien attendre, grandir en embrasser toute dans la pièce.
C'est difficile à décrire mais le silence est plus agréable que la veille.
C'est un silence à l'unisson, plein de force.
Des questions sont posées, certaines toujours un peu absconses pour moi, d'autres plus directes, en rapport avec le quotidien. Gangamma répond verbalement à certaines, parfois avec humour, parfois elle continue d'offrir son silence.
Je ne vais pas épiloguer davantage sur ces sessions qui sont dures à décrire lorsque l'on n'y est pas. Au final j'y suis allée 4 fois et je pense que si j'étais restée plus longtemps à Tiruvannamalai j'y serais allée tous les jours, pour le plaisir de m'assoir en silence.
Si je n'ai pas été très sensible aux questions-réponses, sans doute trop "glissantes" pour mon intellect, j'ai été happée par le darshan, la présence de Gangamma,
Dans son glossaire Patrick Levy, l'auteur de Sâdhus, dit que la racine du mot darshan est drish : le regard. On dit que l'on "prend" le regard d'un être réalisé qui reste ensuite profondément inscrit en soi et qu'il s'agit d'une façon ou une occasion de se trouver devant le réel, d'y être présent, libre de l'influence du passé et de l'avenir, et que c'est quelque chose comme la liberté.
Et si le silence disait tout ?
En quittant Tiruvannamalai, j'ai réalisé que ces épisodes silencieux commençaient à agir en moi et que j'étais heureuse d'avoir trouvé des endroits dédiés tout entiers au silence dans cette Inde cacophonique et tourbillonnante.
Des endroits où venir s'assoir comme dans un refuge, où l'on n'attend rien de vous et où il n'y a rien à attendre, ni consommer. Je me suis même dit que c'était le luxe le plus ultime que je touchais du doigt.
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